Réponse à une question posée par Le CPE
L'école fut pour moi une torture. Je ne mâche pas mes mots. J'avais des amis oui. J'étais sage, oui, comme une image, presque un peu effacée, timide.
J'ai commencé l'école au CP, comme tout le monde me direz vous, mais je n'ai pas fait de maternelle. Enfin, je n'ai pas fait de maternelle dans le système éducatif français. Je vivais en Équateur entre 3 et 6 ans, et à l'école je dessinais, j'apprenais des chansons, parfois même en anglais, je parlais le français et l'espagnol correctement.
Je n'avais jamais fait de graphie. J'ai appris à lire en 3 mois, mais écrire était pour moi une plaie. Mes cahiers étaient raturés, tachés, bourrés de fautes (je ne savais pas recopier sans faire de faute). Au bout de ces trois mois de CP mes parents ont du se rendre à l'évidence, j'étais nulle. Je savais lire, alors la maitresse avait décidé que je ne pourrais pas redoubler, puisque je faisais partie de ceux qui lisaient le mieux dans la classe.
Alors je suis passée en CE1, faisant toujours autant de fautes, incapable de recopier sur mon cahier sans faire de fautes, et surtout sans "m'endormir" tant la tache me paraissait rébarbative. Je ne dormais pas vraiment non, je brouillais ma vue dans une nuage flou, et je partais dans un monde de princesses, de fées, de petits poneys tout mignons, de princes charmants, ou Éric le premier de la classe partageait avec moi son goûter.
J'étais toujours amoureuse du premier de la classe, j'ai toujours été comme ça, depuis l'enfance, j'ai toujours détesté les bad boys, moi j'aimais secrètement le premier de la classe. Qui levait toujours le doigts, qui finissait ses exercices le premier, qui non seulement savait plein de choses, mais surtout osait lever la main, et répondre.
Pendant l'école primaire je me suis souvent auto-interdit les récrés. Je demandais la permission au maitre et restait dans la classe, empruntant le cahier d'un camarade, pour recopier les leçons d'histoire, de grammaire, de géométrie, de sciences naturelles... Quelquefois le maitre, lassé, ou ayant pitié me renvoyait d'office dans la cours. Je rentrais alors à la maison dépitée, avec une leçon à apprendre pour le lendemain, leçon qui n'était pas dans mon cahier, et alors commençait l'horrible course, celle qui faisait que ma mère me grondait, et commençait la litanie du "mais qu'est ce qu'on va faire de toi, tu vas devenir femme de ménage, éboueur, ouvrière en usine..."
Il fallait aller chez une voisine qui était dans ma classe, qui était mon amie au début, mais qui peu à peu s'est éloignée de moi, surement parce que sa mère en avait marre de me voir débarquer un soir sur trois avec mon cahier rouge, vert ou bleu selon la matière en cause, pour recopier une dizaine de ligne de la leçon du jour.
Le pire, c'était le samedi matin, inexorablement, samedi après samedi, je rentrais chez moi avec mon 0/20 en dictée, la note oscillait entre 0 et 5. Le maitre demandait "mais elle lit?"
Mes parents ne comprenaient pas "si elle lit? elle ne fait que ça, quand on la prive de télé elle reste dans sa chambre, elle lit ses "Comtesse de Ségur", ses "Jojo Lapin", ses "Martine", sa bibliothèque est pleine, elle lit le programme télé, les emballages alimentaires, les composants du désodorisant quand elle est aux toilettes, l'étiquette du gel douche quand on lui fait prendre le bain!"
"C'est vrai, réfléchissait soudain le maître, qu'elle ne fait pas vraiment beaucoup de fautes d'orthographe à proprement parler, sauf pour certains doublement de voyelle... c'est plus des fautes d'accord, les terminaisons de certaines conjugaisons, les accents, et puis elle est tellement lente, pour finir les exercices, pour recopier les leçons"
Mes parents demandaient "et on peut pas la faire redoubler?" Le maitre répondait que ça ne servirai à rien, que j'avais une bonne mémoire, toujours 10/10 aux contrôles d'histoire, de science... que je m'exprimais bien, que je lisais et comprenais ce que je lisais aussi bien que les meilleurs de la classe.
J'étais là, sagement, toujours sagement assise à ma place, tandis que le trio se demandait ce qu'on allait faire de moi, qui ne savait pas écrire 10 lignes sans faire 10 fautes mais pourtant savait écrire des rédactions de plus de 30 lignes, qui était incapable de retenir combien font 8 x 9 (je n'avais pas dépassé la mémorisation de la table de 5).
Voilà quel type d'élève j'étais en primaire? Une élève malheureuse de ne pas savoir faire des choses si évidentes pour d'autres, malheureuse de ne pourvoir contenter mes parents.
J'aurais voulu que les fées existent pour leur demander "laisse moi recommencer depuis le CP, cette fois si, je travaillerais plus, je ne "m'endormirai" pas en classe, je n'accumulerai pas de lacunes en calcul, je...
Mais il n'y avait pas de fée, et à chaque fête des mères je demandais à ma maman ce qu'elle voulait, et elle me disait "que tu travailles bien à l'école" et je pensais "tu veux pas plutôt une paire de boucles d'oreilles? un beau dessin, une écharpe, un foulard peint à la main?
Le collège est arrivé, les profs n'écrivaient plus, ils dictaient, mes cahiers étaient toujours bourrés de fautes, mais les leçons étaient là. Ma bonne mémoire me servait bien, en français et en rédaction je perdais des points à cause de ce foutu orthographe, mais j'en gagnais par mon imagination. Je comprenais les textes, intuitivement je devinais les sens cachés.
On me disait discrète, timide, irrégulière. J'étais toujours amoureuse du premier de la classe, et j'avais la réponse aux questions posées par les profs sur les lèvres, mais lever la main était pour moi un supplice, le faire et mes mains devenaient moites, tremblantes, je commençais à parler et je sentais mon cœur s'emballer dans ma poitrine, quelle honte, j'étais certaine que les autres entendait que ma voix commençait à "chevroter". Ce qui me sauvait c'est mon amour des livres, des textes, des mots, alors en Français je voulais dire à ma prof ce que j'avais compris, ressenti, et puis peu à peu j'ai surmonté cette peur, et puis j'ai remarqué que quand on suivait en cours, je veux dire, quand on intéressait un peu à ce qui se passait, les heures interminables passaient plus vite.
Aujourd'hui comment je suis? Et bien toujours timide, mais pourtant j'ose parler devant un groupe, devant une classe, à mes supérieurs. Je ne suis pas une hyperactive, une incapable de rester en place, je suis plutôt une personne calme, j'aime toujours lire sur un fauteuil confortable. J'ai besoin de dormir pas mal. Je préfèrerai être le genre de personne qui a toujours la pêche et qui entreprends 20000 trucs en même temps, mais ce n'est pas le cas.
Quand à mon problème d'orthographe, un prof de FAC (oui oui de fac) m'a dit que si j'étais arrivée jusque là, c'est qu'il ne pouvait que s'agir d'une forme de dyslexie que j'avais admirablement su dissimuler aux autres jusque là. Elle m'a conseillé de voir un orthophoniste, ce que je n'ai pas fait, et de m'entrainer avec des dictées, en réfléchissant à chaque accord, ce que j'ai fait. Elle m'a donné un dernier conseil que je trouve très utile, toujours relire de la fin vers le début, autrement au bout de quelques lignes mon cerveau se remet à analyser le sens de ce que j'ai écrit, et plus la forme.
Je ne le fais pas souvent quand j'écris sur le blog parce que ça me prend un temps fou, et finalement je laisse malgré tout toujours passer une où deux fautes.
Malgré toutes ces difficultés, j'ai réussi à devenir prof. Et si je pouvais rencontrer une fée, j'aimerais juste qu'elle m'envoie dans le passé pour aller dire à mes parents "envoyez là chez un orthophoniste, faites lui faire du théâtre, et c'est à vous de lui apprendre à avoir confiance en elle". Mais en même temps, serais-je la personne que je suis aujourd'hui si je n'avais pas vécu cette enfance si angoissante et surmonté cela?
Je fais suivre la question du CPE, et vous... comment étiez vous à l'école?